Le soir du 10 mai, un rassemblement de citoyens s’est tenu dans l’improvisation la plus totale à Lyon devant l’Hôtel de Ville, dépassant les cinq cents personnes malgré sa spontanéité : nous étions réunis pour protester contre la décision annoncée par Manuel Valls ce jour-là de passer outre le Parlement pour imposer la loi El-Khomri, grâce à l’article 49 (alinéa 3) de la Constitution !
Mais tout le monde ne sait pas forcément ce qu’est le 49-3, alors précisons : le 49-3, c’est l’un des moyens donnés au gouvernement par la Constitution de la Vème République pour bâillonner le Parlement, au mépris de la séparation des pouvoirs. C’est un article archaïque qui permet au pouvoir exécutif de mener à la baguette l’assemblée qui représente le peuple.
Plus exactement, l’article 49-3 permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi si aucune motion de censure n’est déposée pour le renverser par les députés dans les vingt-quatre heures suivantes : il n’y a alors pas de débat au Parlement, pas de modification du texte, ni même de vote sur la loi en elle-même, la seule possibilité pour l’empêcher de passer est de réunir suffisamment de députés pour signer une motion de censure dans un délai très réduit puis de la voter, en espérant que les députés de la majorité aient le courage de renverser leur gouvernement !
Comment se fait-il que la Constitution permette un tel coup de force ? Tout simplement parce qu’elle est d’une autre époque : au moment où cet article 49-3 y a été inséré, et d’autres que l’on désigne par l’euphémisme « mécanismes de rationalisation du parlementarisme », on sortait d’une IIIème et d’une IVème Républiques où les gouvernements étaient instables parce qu’il n’y avait alors pas de discipline parlementaire, les députés ne formaient pas de majorité stable mais se retournaient fréquemment contre leur gouvernement ; depuis, la situation a radicalement changé avec l’émergence de ce que les politistes appellent « le fait majoritaire », c’est à dire que les gouvernements ont désormais une majorité stable et disciplinée pour les soutenir au Parlement, notamment parce que les députés sont devenus beaucoup plus dépendants de leurs partis financièrement sous la Vème République. C’est ainsi que la Vème République est vite devenue un régime complètement déséquilibré : sa Constitution permet au gouvernement de brider le Parlement alors même que le Parlement n’a jamais été aussi faible face à lui ! À cela s’est ajouté une pratique du pouvoir héritée de de Gaulle, dans laquelle le Président de la République sort du rôle d’ « arbitre » que lui attribuait la Constitution pour décider de la politique menée, puis l’alignement du mandat de ce Président sur celui de l’Assemblée Nationale qui signifie qu’il y sera toujours majoritaire… Tout cela a fait de la Vème République un régime verrouillé, où le pouvoir exécutif représenté par le gouvernement et le Président de la République décide quasiment tout à lui seul.
Et c’est donc l’un des aspects les plus autoritaires de ce régime qui est utilisé par le gouvernement pour faire passer sa politique de destruction des droits des travailleurs, malgré un mouvement social massif contre la loi El-Khomri ! Les implications à en tirer sont claires : pour défendre nos droits, le pouvoir ne doit appartenir ni au gouvernement, ni au Président de la République, ni même au Parlement, mais au peuple, ce qui passe par des mesures telles que la possibilité de révoquer nos élus par référendum. Alors continuons à nous rassembler pour protester non seulement contre la loi El-Khomri, mais aussi contre cet article 49-3 avec lequel on veut nous la faire avaler ; et exigeons non seulement un droit du travail au service des salariés mais aussi une VIème République pour que plus jamais de telles trahisons ne puissent avoir lieu !
Le gouvernement Valls peut faire taire le Parlement, mais il ne peut pas empêcher les députés de voter une motion de censure contre lui si vraiment ils veulent aller jusqu’au bout de leur opposition, et surtout, surtout, il ne peut pas nous empêcher de nous montrer nombreux à chaque manifestation unis contre lui et d’utiliser la grève pour le forcer à céder. Ce recours au 49-3 est le signe d’un gouvernement de plus en plus faible et isolé, dans un système économique et politique à bout de souffle.