Cela fait plus d’une semaine que notre pays est frappé d’horreur par un nouveau crime commis par un islamiste, l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, au prétexte qu’il avait montré à ses élèves des caricatures du prophète de l’islam ; les députés membres de la France Insoumise et du Parti de Gauche ont exprimé leur indignation et leur solidarité avec les enseignants comme tout républicain se devait de le faire. L’heure était à la condamnation sans appel du terrorisme et de l’idéologie mortifère qu’est l’islamisme et à l’union contre eux, pas à la polémique.
Mais il semble que tout le monde ne l’entende pas de cette oreille. On apprend ainsi que le Ministre de l’intérieur, M. Darmanin, n’a rien de mieux à faire que de s’offusquer des rayons halal et kasher dans la grande distribution ; que M. Attal voit dans la France insoumise « le parti de la complaisance, de la laïcité honteuse et des valeurs républicaines à géométrie variable », emboîtant le pas à une déclaration tout aussi ridicule de l’ancien premier ministre PS Manuel Valls ; enfin, le Ministre de l’Éducation nationale M. Blanquer a quant à lui accusé d’« islamo-gauchisme », sans que l’on sache bien de quoi il s’agit, non seulement la France Insoumise mais encore l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) et… les universités, rien que ça. La piteuse récupération politicienne ne pouvait donc attendre ? Ces ministres et cet ancien premier ministre ne voudraient-ils pas se soucier de la lutte contre le terrorisme et d’unir Françaises et Français contre celui-ci plutôt que de n’y voir qu’une opportunité de querelles partisanes sur la base d’accusations mensongères ?
Qui sont les accusateurs de la France Insoumise ?
Rappelons d’abord qui formule ces accusations. Avant de devenir ministre, M. Darmanin s’était fait connaître du grand public dans un débat contre Jean-Luc Mélenchon à l’émission Des Paroles et Des Actes en 2016 où il avait défendu un financement public des mosquées contre notre candidat à l’élection présidentielle, qui lui défendait la laïcité ; et maintenant, le même homme se plaint qu’il y ait dans les supermarchés des produits convenant aux attentes des croyants de certaines religions, ce qui, contrairement à ses positionnements, ne va pas à l’encontre de la laïcité.
Et quant à ses collègues Messieurs Attal et Blanquer, n’ont-ils pas de miroir chez eux ? Comme M. Darmanin, ils sont ministres d’un Président de la République, Monsieur Macron, qui dit vouloir « réparer le lien entre l’Église et l’État », donc revenir sur la laïcité, et qui accepte de se lier à l’Église catholique par le titre de chanoine de Latran ; sous leur gouvernement, la République finance des écoles confessionnelles, comme c’est le cas depuis la loi Debré ; jamais ils n’ont parlé d’instaurer la laïcité en Alsace-Moselle ou à Mayotte, où le concordat s’applique toujours ; et faut-il parler des relations entretenues par la France sous leur gouvernement avec l’Arabie Saoudite et la Turquie, alors que les deux régimes ont appuyé les islamistes contre nos alliés kurdes en Syrie, que le premier est le foyer du plus ancien des courants fondamentalistes musulmans qu’est le wahhabisme et que le second est dirigé par les islamistes du parti AKP ? Pour finir, faut-il parler du cas de M. Valls, qui non seulement a lui aussi pratiqué toutes ces atteintes à la laïcité lorsqu’il était au pouvoir mais en plus n’est plus républicain, défendant ouvertement la monarchie depuis sa tentative ratée de se faire élire à la mairie de Barcelone ?
Notons enfin que les ministres n’ont pas le monopole des accusations délirantes : le journal Marianne titre ainsi sur la « gauche collaborationniste » un article hallucinant visant la France Insoumise ; faut-il rappeler à ces journalistes que la vraie collaboration avait fait de nombreuses victimes et que l’invoquer à tout bout de champs, c’est cracher sur la mémoire des victimes de celle-ci ? Mais qu’attendre de mieux d’un journal qui consacre obsessionnellement ses unes à jeter le soupçon sur nos concitoyennes et concitoyens musulmans ?
Voyons plutôt ce que sont les positions de la France Insoumise dans la réalité, plutôt que dans les fantasmes étalés dans les médias par ses adversaires.
La France Insoumise, à la pointe du combat républicain
Pour nous, Parti de Gauche, la République, l’idée d’un régime politique qui serve l’intérêt général de ses citoyens et non plus les intérêts particuliers d’une partie de la population, a toujours été une idée fondamentale, l’écosocialisme étant pour nous son aboutissement nécessaire ; or, un tel régime n’est pour nous possible que grâce à la laïcité, c’est à dire grâce au principe défini par la loi de 1905 qu’ont porté Jean Jaurès et Aristide Briand, celui de neutralité de l’État en matière religieuse, que « l’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Neutralité, nous insistons, et non pas simple tolérance comme c’est le cas dans d’autres pays où une religion ou plusieurs ont la préférence de l’État même si les autres options spirituelles sont tolérées ; et neutralité de l’État, nous insistons également, pas des citoyens et citoyennes, lesquelles sont tout à fait libres de porter des signes religieux quand ils ne représentent pas l’État et, faut-il le dire, d’acheter dans la grande distribution de la nourriture conforme à leurs croyances. C’est ainsi seulement que les pouvoirs publics sont pleinement au service de tous les citoyens et citoyennes sans distinction quant à leurs options spirituelles. Un financement public ou une reconnaissance officielle de religions par l’État signifierait qu’il prend parti entre les croyances ou non-croyances, ce qui n’est pas son rôle. Or, c’est précisément cette conception que nous retrouvons dans la France Insoumise.
En effet, la France Insoumise, à travers son candidat Jean-Luc Mélenchon, a été la seule force politique à la dernière élection présidentielle à proposer d’appliquer pleinement la loi de 1905 : de revenir sur la loi Debré pour ce qui concerne le financement public des écoles confessionnelles, de cesser de financer par de l’argent public la construction de lieux de culte de quelque confession que ce soit, d’instaurer la loi de 1905 dans les territoires où elle ne s’applique pas encore. Rien de tout cela n’a été défendu par ceux qui prétendent maintenant nous donner des leçons de laïcité ! C’est pourquoi nous sommes fiers d’avoir participé à la construction de la France Insoumise et de toujours la soutenir contre ces attaques hypocrites.
Et quant à la lutte contre l’islamisme, qu’il utilise les moyens du terrorisme ou non, là encore, notre famille politique a été en pointe : non seulement nous avons toujours dénoncé le terrorisme islamiste, comme tout républicain doit le faire, mais nous avons aussi dénoncé les agissements des islamistes d’Ennahdha en Tunisie contre nos camarades du Front populaire ou ceux de l’AKP de M. Erdogan contre nos camarades du HDP. Pour nous, il n’a jamais été question de pactiser avec ces réactionnaires, contrairement aux gouvernements qui se sont succédé ces dernières années.
Et il n’existe pas d’« islamo-gauchisme » : ou bien l’on est de gauche, c’est à dire que l’on défend les idéaux de la Révolution française, ou bien l’on est pour le retour en arrière de la société vers un pouvoir politique au service d’un fondamentalisme religieux, mais pas les deux ; nous avons choisi notre camp il y a fort longtemps. Et s’il y a eu des gens de gauche suffisamment naïfs pour croire qu’ils pouvaient défendre la première cause avec les défenseurs de la seconde, nous n’en avons jamais fait partie. Il est inquiétant de voir ce concept hasardeux puisque contradictoire d’« islamo-gauchisme », dont l’assimilation de la gauche à une mystérieuse conspiration étrangère rappelle les procès en « judéo-bolchévisme » des véritables collaborateurs, passer des éléments de langage de l’extrême-droite à la communication gouvernementale… Voilà qui en dit hélas long sur le point auquel nos ministres et une partie de la presse s’éloignent du républicanisme.
Mais les adversaires de la France Insoumise croient avoir trouvé une justification à leurs élucubrations : la participation de Jean-Luc Mélenchon à une marche contre le racisme envers les musulmans en novembre dernier. Comme nous allons le voir, c’est prouver qu’ils ne comprennent pas la laïcité en plus de ne pas la pratiquer.
Contre les prêcheurs de guerres de religions
En effet, pourquoi la laïcité existe-t-elle ? Dans notre pays, la laïcité est l’aboutissement d’une longue histoire de persécutions religieuses et de guerres de religions, comme l’explique Jean-Luc Mélenchon : les juifs ont été persécutés pendant des siècles sans avoir les moyens de se défendre ; la rupture entre catholiques et protestants s’est traduite par une guerre civile, les catholiques refusant l’éventualité d’avoir un roi protestant en la personne du futur Henri IV ; l’athéisme et le refus de la religion en général ont à leur tour été persécutés lorsqu’ils ont émergé, a contrario le pouvoir politique a parfois tenté de mettre la religion à son service. La laïcité telle qu’elle a été actée en 1905 actait la fin de cette longue histoire de guerres : ce qui garantirait la liberté de conscience, dorénavant, ce serait le fait que l’État ne se contenterait pas de tolérer différents cultes mais ne prendrait plus aucun parti en matière religieuse, pour laisser chacun croire ou ne pas croire comme il l’entend.
Il existe une autre raison pour laquelle la laïcité est nécessaire pour notre camp politique, au-delà de la seule France : écosocialistes, nous sommes les héritiers du mouvement ouvrier ; or, la religion a régulièrement été instrumentalisée contre lui par la classe dominante comme outil de manipulation du peuple, devant donner une justification sacrée à l’ordre existant. Rompre tout lien entre l’État et les Églises, c’est donc l’empêcher d’en faire ses instruments d’embrigadement.
Revenons à la manifestation contre l’islamophobie à laquelle certains reprochent à Jean-Luc Mélenchon d’avoir participé. De quoi s’agissait-il ? D’une manifestation contre la liberté de critiquer et de caricaturer l’islam ? D’une manifestation contre la séparation des Églises et de l’État ? Évidemment non : nous l’aurions aussitôt dénoncée si cela avait été le cas. Il s’agissait d’une manifestation contre les actes et la parole raciste déchaînés contre les musulmans. On peut bien trouver le mot « islamophobie » malheureux car prêtant à confusion, mais le fait est que les revendications de la manifestation étaient claires et que c’est l’usage historique du mot remontant à la colonisation française, ceux et celles qui s’abritent derrière une querelle sémantique pour faire semblant de ne pas comprendre sont malhonnêtes ; on peut bien regretter la présence de telle ou telle personne à cette manifestation, mais pour sa part Jean-Luc Mélenchon a estimé qu’il y avait un enjeu supérieur à y participer pour dénoncer un phénomène grandissant, la volonté de relancer une guerre de religions. Jean-Luc Mélenchon était donc en pleine cohérence avec lui-même en défendant la loi de 1905 et en refusant ces tentatives de dresser les uns contre les autres travailleurs et travailleuses selon leur religion.
C’est en effet ce que font une partie de la presse, l’extrême-droite mais aussi les partis qui se succèdent au pouvoir depuis au moins Nicolas Sarkozy : stigmatiser une partie de la population en fonction de ses origines et de sa religion, y compris en poussant la malhonnêteté jusqu’à prétendre le faire au nom de laïcité. C’est exactement ce que veulent les terroristes islamistes : ils sont incapables de prendre le pouvoir en France de leur vivant et ils le savent ; le but qu’ils poursuivent par leurs attentats est de contraindre nos concitoyens et concitoyennes musulmanes à rompre avec le reste du peuple français, or le racisme ne fait qu’encourager une telle rupture. Ces ministres en roue libre, hélas, font le jeu de la stratégie définie pour le Front National par Bruno Mégret dans les années 90. C’est inacceptable pour nous en tant que républicains et en tant qu’écosocialistes : nous voulons un régime qui serve l’intérêt général, et nous ne laisserons pas diviser les victimes de l’exploitation capitaliste sur de tels critères.
Ces accusations sont donc d’une extrême malhonnêteté : si ceux qui les émettent connaissent le programme de la France Insoumise, ils savent qu’elles sont fausses et comptent sur l’ignorance pour les faire passer ; ils récupèrent ainsi l’assassinat de Samuel Paty à leurs fins politiciennes. Nous sommes plus républicains qu’aucun d’eux, seuls à défendre jusqu’au bout la loi de 1905 ; nous estimons l’être également en portant notre projet écosocialiste car pour nous, comme le disait Jaurès, « Le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale » (discours à la chambre des députés, le 21 novembre 1893). Contrairement au gouvernement, nous sommes les républicains qui ne veulent pas se contenter des mots mais les rendre réels ; comme l’écrivait Rosa Luxemburg dans son article hommage aux révolutionnaires de 1793, « La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » n’était à la l’époque de la grande Révolution française qu’un slogan de parade dans la bouche de la bourgeoisie, et un faible soupir dans la bouche du peuple – ce mot d’ordre est aujourd’hui le cri de guerre menaçant d’une armée de plusieurs millions de travailleurs. Le jour approche où il prendra corps et deviendra réalité. ».