Trente ans d’attaques contre nos retraites
L’air est connu. Le 10 janvier dernier, le gouvernement Borne annonçait un nouveau projet de réforme des retraites. Celui-ci s’inscrit dans une longue tradition d’attaques contre les droits des travailleuses et travailleurs, qui remonte au gouvernement Balladur, en 1993. À chaque fois, les gouvernements prétendent qu’ils doivent rééquilibrer le financement de notre système de retraites ; à chaque fois, ils proposent pour cela d’allonger la durée de cotisation, c’est-à-dire nos années de travail, et de repousser l’âge minimal de départ pour bénéficier d’une retraite à taux complet ; à chaque fois, une nouvelle réforme suit celle qui était censée régler le prétendu problème de financement des retraites, forçant les salariés à travailler toujours plus longtemps. Les gouvernements Balladur, Raffarin, Fillon, Ayrault et Philippe sont déjà tous passés par-là.
Et une fois de plus, ce projet rencontre un énergique refus populaire : le 19 janvier dernier, ce sont deux millions de Françaises et de Français qui sont descendus dans la rue pour s’y opposer à l’appel des syndicats ! Nous y avons participé, puis à la manifestation qui a rassemblé cent cinquante mille personnes à Paris le 21 janvier à l’appel des organisations de jeunesse. Même les sondages d’opinion utilisés par les médias pour construire une « opinion publique » (qui ne répond qu’aux questions que les médias lui posent, comme c’est pratique…) traduisent une opposition massive à cette réforme : c’est que pour l’immense majorité des gens, la retraite est un sujet très concret, dont ils perçoivent immédiatement l’impact potentiel sur leurs vies, contrairement à d’autres sur lesquelles la fameuse « opinion publique » est sommée de se positionner.
Cette opposition n’a rien d’étonnant : pour la plupart des gens, le travail est synonyme d’exploitation par la classe qui possède les leviers essentiels de l’économie, les capitalistes, souvent dans des conditions de pénibilité physique et/ou nerveuse qu’ils ne veulent pas supporter jusqu’à soixante-quatre ans, ni même moins. Les jeunes qui n’ont pas encore d’emplois stables ne la souhaitent pas davantage : si leurs aînés sont contraints de travailler plus longtemps, eux subiront plus longtemps le chômage et la précarité, ne pouvant les remplacer. Cette réforme est une contre-réforme, qui revient sur les réformes sociales conquises par des décennies de lutte depuis l’époque de Jean Jaurès en France.
Un système de retraites stable et finançable
Or il n’y a pas de problème de financement des retraites : M. Bras, président du Conseil d’Orientation des Retraites, expliquait dans son audition à l’Assemblée nationale, conformément au rapport 2022 du Conseil, que les dépenses des retraites sont stabilisées à long terme et que leur part dans le Produit Intérieur Brut (PIB), l’ensemble des richesses produites, diminuait même dans trois des hypothèses étudiées sur quatre. Le solde financier des retraites était même excédentaire en 2021 et 2022, c’est-à-dire que les cotisations ont rapporté plus d’argent qu’il n’y en a eu de dépensé ces deux années-là !
Il est vrai que le système reste en déficit : d’après la plupart des projections, ce déficit devrait se résorber en 2030, le gouvernement a lui préféré partir de l’hypothèse la plus pessimiste, prévoyant une résorption en 2070. M. Bras relevait d’ailleurs que l’évolution des dépenses des retraites, bien que stable, est incompatible avec les objectifs de réduction des déficits publics que se donne le gouvernement. Mais à quoi est dû ce déficit, au juste ?
Rappelons-le : les retraites sont financées par des cotisations sociales, qui sont une part de nos salaires ; elles fonctionnent comme une assurance, nous cotisons pour les gens qui sont maintenant à la retraite, en échange de quoi nous avons ensuite le droit de toucher la nôtre en fonction de ce que nous avons cotisé. Par conséquent, plus la part de la valeur produite par les entreprises (la valeur ajoutée) qui revient aux salaires est importante, et plus la part de ces salaires qui est versée en cotisations sociales est importante, plus il y a d’argent pour financer les retraites ; a contrario, plus la part de la valeur ajoutée qui revient au capital, c’est à dire la rémunération des actionnaires des entreprises, est importante, plus cela diminue la part qui revient aux retraites. Or c’est ici que nos retraites sont attaquées de toute part : la part des salaires dans la valeur ajoutée a considérablement baissé sur le long terme par rapport à ce qu’elle était dans les années 70, quand les luttes vigoureuses à la suite de mai 68 ont permis d’arracher des augmentations de salaire importantes ; le chômage réduit les périodes où les travailleuses et travailleurs reçoivent un salaire, donc où ils peuvent cotiser ; l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires permise par les gouvernements successifs signifie qu’une part du salaire ne participe plus au financement des retraites ; et les moindres salaires perçus par les femmes à poste égal impliquent là encore moins de cotisations sociales, donc moins de financement pour les retraites, à tel enseigne que payer autant les femmes que les hommes suffirait à résorber le déficit !
Le pouvoir du capital, le chômage et le sexisme se conjuguent donc pour mettre en déficit notre système de retraites. Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, ce déficit n’est pas dû à l’allongement de la durée de vie ou à la baisse du nombre d’actifs occupés comparé au nombre de retraités : la productivité du travail a bien plus augmenté dans la même période, de sorte que l’on produit bien plus de richesses qu’avant, notre Produit Intérieur Brut est plusieurs fois supérieur à ce qu’il était dans les années 70 ! Il y a donc de l’argent : si l’on veut supprimer le déficit des retraites, il faut aller chercher cet argent, en augmentant les salaires et les cotisations sociales.
Une contre-réforme conforme aux intérêts des capitalistes
Les capitalistes sont évidemment contre augmenter les salaires : cela fait autant d’argent qui leur échapperait. En revanche, la contre-réforme du gouvernement Borne est très intéressante pour eux : si les salariés ne peuvent plus compter sur la sécurité sociale pour prendre leurs retraites, il leur restera à se constituer des retraites dans le privé, par capitalisation auprès de la finance ; l’argent qu’ils mettront de côté pour leur retraite sera alors épargné auprès des capitalistes de la finance… C’est le modèle qui existe déjà dans d’autres pays avec les fonds de pension, et qu’ils rêvent de transposer à la France. Outre ce que cela coûterait aux salariés, leurs retraites seraient alors vulnérables à l’inflation : que l’argent perde de sa valeur, comme c’est le cas aujourd’hui avec la hausse des prix, et ce qu’ils auront mis de côté vaudra moins également.
Repousser l’âge de départ à la retraite présente également un deuxième avantage pour les capitalistes : celui d’augmenter le nombre de chômeurs disponibles, grâce aux travailleurs âgés qui ne pourront pas prendre leurs retraites alors qu’ils peinent à retrouver un emploi et aux jeunes qui auront plus de difficulté à en trouver un si les générations précédentes mettent plus de temps à quitter leurs emplois. Maintenir un niveau de chômage élevé permet en effet aux capitalistes de faire pression à la baisse sur les salaires, un salarié qui refuse un salaire trop bas pouvant aisément être remplacé, et de disposer en permanence d’une grande quantité de travailleuses et travailleurs pouvant être mobilisés pour un nouveau projet d’investissement : c’est ce que Karl Marx appelait l’armée industrielle de réserve, dans le chapitre du Capital consacré à la loi générale de l’accumulation capitaliste.
Pourquoi nous devons nous battre
Il n’y a donc pas de problème de financement des retraites derrière ce projet de contre-réforme, seulement la lutte entre les intérêts du travail et ceux du capital. Et c’est pourquoi nous, Parti de Gauche du Rhône, nous nous battons pour bien plus que simplement arrêter ce projet de loi destructeur : conformément au programme du PG adopté en 2016, nous défendons le droit à la retraite à soixante ans et le retour à trente-sept annuités et demie de cotisations ; au-delà de ce programme, notre but final est la fin de l’antagonisme entre le travail et le capital par la socialisation des moyens de production, afin que les principaux leviers de l’économie n’appartiennent plus à une classe séparées des travailleuses et travailleurs mais à la société toute entière. Nous avons les moyens de nous battre contre ce projet de loi et pour un monde meilleur : c’est nous qui produisons. Le gouvernement et les capitalistes ne pourront pas résister si nous sommes suffisamment nombreux à nous mobiliser et suffisamment longtemps. Cela commence par la prochaine journée d’action, le 31 janvier.