Recension : « Lyon et ses extrêmes-droites » d’Alain Chevarin

Ce n’est pas un secret pour nous militants écosocialistes dans le Rhône : Lyon sert de laboratoire à l’extrême-droite et spécialement à des groupuscules violents, nous le constatons depuis longtemps dans notre action pour endiguer ses agissements. On peut s’interroger sur les raisons de cette particularité, d’autant que la ville est depuis longtemps dominée par le centre-droit et que l’extrême-droite y réalise des scores relativement faibles aux élections ; c’est de ce problème que traite le livre Lyon et ses extrêmes-droites paru le mois dernier aux Éditions de la Lanterne, écrit par Alain Chevarin, ancien professeur de lettres, et préfacé par l’historien Nicolas Lebourg.

Ce livre permet en effet de mieux cerner la présence de l’extrême-droite à Lyon, dont la particularité est que toutes ses fractions sont représentées :

  • le Front National / Rassemblement National, issu du groupuscule fasciste Ordre Nouveau, qui a adopté un discours national-populiste pour obtenir des positions de pouvoir aux élections, longtemps représenté à Lyon par l’élu Bruno Gollnisch ;
  • les monarchistes de l’Action Française, historiquement impliqués dans la collaboration ;
  • le groupuscule fasciste Les Nationalistes, héritier d’organisations fondées par des collaborateurs (le Parti Nationaliste Français et l’Œuvre Française) ; 
  • l’association Les Identitaires et sa branche jeunes Génération Identitaire, liées au Rassemblement National et qui agissent principalement par coups médiatiques haineux visant les gens d’origine extra-européenne, notamment nos concitoyens de confession musulmane ;
  • les groupuscules violents d’inspiration nationaliste-révolutionnaire dont le tristement célèbre Bastion social qui avait essaimé dans d’autres villes françaises avant son interdiction, s’inspirant des modes d’action des néofascistes italiens de CasaPound, qui ne cherchent pas à recourir aux élections mais à s’implanter sur un territoire par la violence, l’occupation de bâtiments et des actions faussement caritatives réservées aux « blancs » (si on voulait être taquin, on parlerait de séparatisme !) ;
  • et enfin une frange d’intellectuels adeptes de théories ethnodifférentialistes dans la lignée de l’aryanisme sur un « peuple indo-européen » originel à préserver par le rejet des populations d’origine extra-européenne et prônant un néopaganisme contre les religions monothéistes, représentée notamment par l’association Terre et Peuple établie dans la banlieue de Lyon, à Villeurbanne.

Tout en présentant ces groupes et leur histoire, l’ouvrage montre aussi leur dangerosité par des exemples de leurs exactions, une délinquance d’extrême-droite hélas bien ancrée à Lyon que nous avons mainte fois dénoncée.

Il peut paraître incroyable que ces groupes très différents par leurs modes d’action, leurs rapports à la religion qui va de catholiques traditionalistes ou intégristes aux néopaïens, le fait d’assumer publiquement leur antisémitisme ou non, le fait de privilégier la nation ou au contraire l’européisme et le régionalisme, puissent s’entendre ; c’est pourtant le cas, les exemples de collaborations entre eux à Lyon sont légion ! Comme le relève Nicolas Lebourg, l’extrême-droite à Lyon applique, probablement sans le savoir, la maxime trotskyste « Marcher séparément, frapper ensemble », secret d’efficacité : pour notre part, nous n’avons jamais ignoré que c’était ainsi qu’il fallait procéder à gauche pour lutter contre elle et contre le capitalisme ; et si eux s’unissent dans leur haine de tout ce qui est autre, nous nous unissons quant à nous avec d’autres dès lors qu’il s’agit de défendre ce que nous estimons être les droits universels des êtres humains, tout en marchant de notre côté pour notre projet, l’écosocialisme.

Mais pourquoi cette implantation malheureusement durable de l’extrême-droite dans son ensemble à Lyon ? Le livre d’Alain Chevarin est particulièrement intéressant à cet égard parce qu’il met en avant les connexions dont l’extrême-droite bénéficie avec la droite classique à Lyon : on sait que ces liens se nouent en particulier aujourd’hui autour de l’Institut de Sciences Sociales Économiques et Politiques (ISSEP) fondé à Lyon sous le patronage de Marion Maréchal après son retrait du FN, mais les liens sont beaucoup plus anciens comme le montre l’auteur en donnant plusieurs exemples de collusion entre la droite non-gaulliste qui est historiquement dominante à Lyon et en Rhône-Alpes et le FN, le plus notable étant l’alliance de Bruno Gollnisch avec le président de région de centre-droit Charles Millon en 1998. Et pourquoi de tels liens entre droite et extrême-droite à Lyon ? Alain Chevarin avance l’hypothèse d’un rôle joué par la force historique des réseaux catholiques à Lyon, primat des Gaules, qui peut donner l’idée d’une culture commune partagée entre la droite, notamment le centre-droit dont les liens avec le catholicisme sont historiquement forts, et des groupes d’extrême-droite attachés à une vision traditionaliste voire intégriste du catholicisme comme élément d’identité nationale -les deux se sont ainsi mêlés dans la « Manif pour tous » contre l’ouverture du contrat de mariage aux couples homosexuels. La personne de Bruno Gollnisch a sans aucun doute joué un rôle en la matière, faisant la bascule entre ses relations avec la droite classique, son parti le Front National et les liens qu’il entretenait avec des groupes plus extrêmes comme l’Œuvre Française, jusqu’à créer un continuum entre eux. Le livre souligne également le rôle joué dans l’implantation de l’extrême-droite par l’université Lyon-3, créée sur la base d’une séparation plus politique que disciplinaire à partir de Lyon-2, qui a longtemps regroupé des professeurs appartenant à la mouvance d’extrême-droite néopaïenne Nouvelle Droite dont Terre et Peuple est issu et est également un lieu d’implantation traditionnel chez les étudiants pour les groupuscules d’extrême-droite. C’est la combinaison entre ces différents facteurs qui a fait de Lyon un tel centre névralgique pour l’extrême-droite. Sans doute serait-il également intéressant d’étudier la sociographie des militants de l’extrême-droite lyonnaise : il y a de fortes chances pour qu’elle ait ses particularités dans une ville où la bourgeoisie est historiquement prépondérante et favorise également les liens avec la droite classique.

Quoi qu’il en soit, Lyon et ses extrêmes-droites d’Alain Chevarin est donc un livre très intéressant pour qui veut comprendre non seulement cette particularité du champ politique lyonnais mais aussi le fonctionnement de l’extrême-droite en général.

Et ainsi, de notre point de vue, à Lyon encore plus qu’ailleurs, une lutte sérieuse contre l’extrême-droite doit aussi être une lutte contre la droite néolibérale. En effet, la seconde fait souvent preuve de complaisance envers la première, unie à elle non seulement par le partage de références culturelles communes comme à Lyon mais encore par leur volonté commune d’étouffer la lutte des classes, seule une mobilisation massive peut contraindre les pouvoirs publics à agir contre les violences de l’extrême-droite. D’autre part, nous pensons qu’on ne peut combattre l’extrême-droite en se contentant de lui faire barrage, en ne proposant rien d’autre que de ne pas être elle, il faut lui opposer un projet qui mobilise travailleurs et travailleuses contre l’exploitation, et cette alternative s’appelle pour nous l’écosocialisme et la République.