Jeudi 23 septembre sur BFM TV se confrontaient deux visions de la France et du monde diamétralement opposées : notre camarade Jean-Luc Mélenchon affrontait en débat sur BFM TV l’éditorialiste d’extrême-droite Éric Zemmour.
Nous pensons que c’est une bonne chose que ce débat ait eu lieu. Dans ce qui suit, nous expliquerons pourquoi il fallait affronter Éric Zemmour et pourquoi nous pensons que Jean-Luc Mélenchon a réussi à faire entendre dans ce débat notre vision républicaine et écosocialiste.
Un débat qui met fin à l’impunité médiatique d’Éric Zemmour
Il fallait affronter Éric Zemmour car, comme l’a d’entrée de jeu rappelé Jean-Luc Mélenchon, M. Zemmour est un danger. M. Zemmour est un raciste condamné et un défenseur de la collaboration, il promeut une vision rétrograde des droits des femmes sur des questions comme l’IVG ainsi que de ceux des minorités d’orientation sexuelle et de genre, il s’inscrit dans une vision hostile au progrès de la liberté et de l’égalité accomplis depuis la Révolution de 1789 et que nous voulons porter toujours plus loin ; pourtant, M. Zemmour dispose d’un immense espace médiatique pour marteler sa propagande, tout en se plaignant… d’être censuré. Le débat public est empoisonné par ses absurdités comme de vouloir interdire les prénoms d’origine étrangère alors que nous nous enfonçons dans la catastrophe écologique et sociale. M. Zemmour est payé pour réaliser cette diversion, notamment par M. Bolloré, propriétaire entre autres de la chaîne de télévision CNews. Et, hélas, les idées que lui et une armée d’autres éditorialistes réactionnaires répandent dans les médias sont largement reprises par des candidats déclarés à l’élection présidentielle, qui abandonnent les valeurs républicaines les plus élémentaires pour surfer sur l’air du temps. La plupart du temps, M. Zemmour peut faire cela sans rencontrer de contradiction sérieuse, encore moins de gauche.
C’est dire si croire que ce débat risquait de faire connaître ou de légitimer M. Zemmour, comme l’ont dit certains, était une erreur. Nous ne sommes plus au début des années 2000, quand l’extrême-droite était marginalisée et le racisme une étiquette infamante ! Les idées de M. Zemmour sont déjà connues de toutes et tous, ce débat ne lui a pas permis de les faire découvrir à qui que ce soit. Il ne lui a pas non plus permis de se légitimer comme candidat à l’élection présidentielle : ce sont les médias aux mains d’une poignée de grands capitalistes qui travaillent sans relâche à promouvoir sa candidature avec une complaisance stupéfiante, comme ils l’ont autrefois fait pour M. Macron ; que Jean-Luc Mélenchon démasque son idéologie nocive dans un débat lui ôte de cette légitimité. Si quelqu’un parmi les candidats à l’élection présidentielle censés être à gauche a donné de la légitimité à Éric Zemmour, ce sont plutôt ceux qui étaient à ses côtés au rassemblement du 19 mai et se payent maintenant le luxe de critiquer Jean-Luc Mélenchon pour ce débat ! En revanche, ce débat, avec ses presque quatre millions de spectateurs, aura probablement permis de faire entendre des arguments de gauche à des gens qui n’en ont que très peu entendu tant ils sont invisibilisés et déformés dans les médias.
Toutefois, l’exercice présentait une difficulté : le débat télévisuel est un format qui ne favorise pas l’honnêteté intellectuelle. Il est facile d’y répandre des affirmations fausses qui ne pourront pas être vérifiées dans l’immédiat, et encore plus facile d’y lancer des slogans simplistes alors qu’expliquer les tenants et les aboutissants d’un problème prend beaucoup plus de temps. Cependant, était-ce une raison pour laisser ce terrain à l’extrême-droite ? Pour notre part, nous refusons de fuir devant la difficulté : ne combattre l’extrême-droite que dans la rue en lui abandonnant les grands médias serait voué à l’échec, lui permettant de recruter sans cesse de nouveaux adeptes. Or, dès lors que cet affrontement devait avoir lieu, il fallait face à Éric Zemmour quelqu’un de solidement à gauche, cultivé et à l’aise avec les médias ; qui mieux que Jean-Luc Mélenchon aurait pu remplir ce rôle ?
Il fallait donc que ce face à face ait lieu. Qu’en est-il de son résultat ?
Un débat qui oppose deux visions de la France : celle d’Éric Zemmour, essentialiste et fantasmée
Pour nous, il est clair que Jean-Luc Mélenchon a excellé à réfuter les arguments de l’extrême-droite et à présenter un projet en rupture avec le système actuel. Là où l’opposition entre les deux débatteurs a sans doute été la plus limpide, c’est sur leur conception de la France.
Celle d’Éric Zemmour repose sur une conception essentialiste de la France classique de l’extrême-droite, héritière entre autres de l’Action française. En effet, lorsqu’il définit la France comme une « civilisation chrétienne » à laquelle il faut « s’assimiler », notamment en adoptant un prénom et un habillement qui soient déjà répandus sur son territoire, cela signifie qu’il existe pour lui une essence inaltérable de la France, un ensemble fini d’éléments qui auraient toujours été français et auxquels rien ne pourrait s’ajouter -en somme, une « France éternelle », selon la formule caricaturale du pétainisme.
Pareille conception est un tissu de fantasmes mortifères sans réalité historique.
Elle l’est premièrement parce qu’une religion ne fait pas une civilisation, cela vaut pour le christianisme comme pour l’islam : les interprétations du christianisme sont d’une immense diversité et les cultures des différents peuples où il est implanté, de la Russie à l’Argentine en passant par les États-Unis, l’Éthiopie ou la France, sont extrêmement différentes les unes des autres. M. Zemmour oublie volontairement l’influence sur la culture de notre pays de la philosophie grecque et du droit romain, influence pourtant écrasante, à tel point que c’est à travers leur influence que des théologiens comme Augustin d’Hippone ou Thomas d’Aquin ont interprété le christianisme. Philosophie et droit qui ont d’ailleurs été en grande partie redécouverts en France par le contact avec… le monde arabe. Encore faut-il ajouter à cela que définir la France par le christianisme serait faire fi de la présence historique juive sur son territoire. Il est particulièrement atterrant de voir ainsi M. Zemmour privatiser la France au profit du christianisme alors que lui-même n’est pas chrétien et que la majorité des Françaises et des Français ne sont pas croyants : M. Zemmour va-t-il leur dire et se dire à lui-même qu’ils ne s’assimilent pas suffisamment à la civilisation française ?
Mais surtout, elle est ridicule parce que la France a absolument toujours été un mélange de peuples et de cultures. Avant même qu’elle ne porte ce nom, le territoire qui forme aujourd’hui sa métropole était habité par différents peuples celtes que leurs voisins romains regroupaient sous le nom de « Gaulois ». À l’invasion des Romains se sont ensuite ajoutées celles de différents peuples germaniques dont les Francs saliens qui ont donné son nom à notre pays, et si les migrations ont ensuite été de faible ampleur jusqu’à l’arrivée massive de travailleurs notamment italiens et polonais à partir du XIXème siècle, les frontières, elles, n’ont cessé de varier. Pendant tout ce temps, la France n’a cessé de construire sa langue et sa culture par le mélange, empruntant aux Romains le latin pour le mêler à d’autres langues comme celle de ses voisins anglais, combinant comme droit les coutumes germaniques avec la loi écrite et la jurisprudence des Romains, réfléchissant à l’aide des catégories de la philosophie grecque et de religions importées du Proche-Orient… Puisque M. Zemmour aime à parler des prénoms, ceux-ci sont justement un excellent exemple : beaucoup des prénoms du calendrier sont des versions traduites de prénoms hébraïques figurant dans la Bible, d’autres sont empruntés à d’autres langues, notamment… Éric, prénom scandinave qui n’était pratiquement pas porté en France avant la deuxième moitié du XXème siècle. On voit mal pourquoi porter le prénom du prophète de l’islam devrait de toute éternité être plus étranger à la France que celui d’un personnage religieux juif ou d’un chef de guerre viking ! Et faut-il parler de l’outre-mer, dont les territoires n’avaient rien de commun avec cette histoire jusqu’à leur annexion ?
La France a donc toujours été un mélange de populations d’origines diverses et de cultures différentes, cultures souvent nées hors de ses frontières actuelles. Il nous reste bien peu des Celtes ou même des Francs ! Et par conséquent, il n’y a pas remplacement d’une culture par une autre avec les populations immigrées récemment arrivées en France, pas plus qu’il n’y a assimilation : il y a, comme toujours, mélange de cultures et de gènes pour produire quelque chose de neuf ; cela se voit dans les chiffres des unions mixtes d’Hervé Le Bras que M. Zemmour déteste tant ou dans ceux des immigrés parlant français avec leurs enfants.
Un débat qui oppose deux visions de la France : celle de Jean-Luc Mélenchon, universaliste et républicaine
Ce processus par lequel les populations se mélangent sans cesse les unes aux autres tant culturellement que génétiquement pour former quelque chose de nouveau, créant des identités qui ne sont pas figées mais en perpétuelle évolution au contact les unes des autres, Jean-Luc Mélenchon lui donne un nom qu’il emprunte au poète Édouard Glissant : la créolisation.
Comment définir la France en ce cas, puisque tous les peuples évoluent et se recomposent sans cesse ? Il est certain que si l’on veut remonter au Royaume des Francs de Clovis, on n’y arrivera pas : depuis cette époque, les frontières, la langue, le droit, la philosophie, la religion, les noms, les traits physiques héréditaires des habitants, la cuisine ou l’architecture, absolument tout a changé, en partie ou totalement, quand bien même il nous reste le nom de France. Mais aujourd’hui, qu’est-ce qui peut unir les Françaises et Français de tous les territoires, de la Martinique à l’Alsace en passant par Paris et la Bretagne, de toutes origines, de toutes religions ? La langue est importante mais n’y suffit pas, le français étant parlé dans d’autres pays. La réponse de Jean-Luc Mélenchon à cette question est : la République.
La République française n’est pas une essence finie : elle repose sur la volonté de vivre sous une même loi, d’où que l’on vienne. Dans notre conception, qui est la conception historique de la nation telle qu’elle a été affirmée par les républicains durant la Révolution française, elle n’est une forme institutionnelle : elle est un projet politique pour vivre ensemble, celui de réaliser les valeurs Liberté – Égalité – Fraternité, de toujours rechercher l’intérêt général. Un avenir en commun, en somme. Un tel projet ne peut être que laïque, car il appartient à toutes ses citoyennes et citoyens quelles que soient leurs options spirituelles. Il fait de la France une nation universaliste, que l’on peut rejoindre à condition de vouloir vivre sous sa loi commune, et une nation qui a un avenir parce qu’elle peut toujours évoluer au fil de la créolisation, là où Éric Zemmour ne propose qu’un passé fantasmé pour diviser la France telle qu’elle existe réellement. Et ce sont ces valeurs républicaines et cette volonté de vivre sous une loi commune qui peuvent unir la France par-delà les différences contre les communautarismes de tout bord, ce sont elles qu’il faut placer au centre de la politique et de l’enseignement.
Un débat qui démasque l’absence de projet d’Éric Zemmour, obnubilé par ses obsessions malsaines
C’est au nom de son fantasme d’homogénéité nationale passéiste que M. Zemmour n’a cessé comme toujours d’accuser une partie de nos concitoyennes et concitoyens, ramenant tout à l’islam et à l’immigration quel que soit le sujet. Quitte à se prendre les pieds dans le tapis ! On a ainsi pu l’entendre dire à Jean-Luc Mélenchon que la pauvreté ne pouvait avoir aucun rapport avec la délinquance et la criminalité parce que beaucoup de gens pauvres ne commettent ni crime ni délit, avant de dire… qu’ils s’expliquent par l’islam, bien que l’immense majorité des musulmanes et musulmans ne commettent ni crime ni délit ! Son simplisme et ses obsessions malsaines sont honteux, alors qu’il existe tant de recherches sur ces phénomènes sociaux complexes et anciens.
C’est bien rabougri qu’on l’a retrouvé dès lors qu’il lui a fallu parler des sujets économiques, sociaux et environnementaux, c’est-à-dire des défis majeurs auxquels est confrontée non seulement notre patrie, mais l’humanité toute entière ; tandis que Jean-Luc Mélenchon exposait son projet de répondre à la catastrophe écologique et sociale par la solidarité et la planification, M. Zemmour n’a été capable que de répéter la doxa néolibérale selon laquelle notre protection sociale coûterait trop cher et de défendre la production d’énergie nucléaire au motif qu’il n’y a pas encore eu d’accident. Pour conclure, il s’est contenté d’évoquer sa peur selon laquelle il y aurait trop de cultures différentes en France à l’avenir dans une comparaison hasardeuse avec le Liban, tandis que Jean-Luc Mélenchon, lui, appelait à agir contre le dérèglement climatique, des parties entières du territoire de la France risquant d’être submergées.
En définitive, Jean-Luc Mélenchon portait un projet pour la France face aux défis qui l’attendent là où Éric Zemmour ne portait que haine et rancœur. Et ce projet est républicain et écosocialiste.