Abstention massive aux élections : il faut en finir avec la Vème République

C’est le fait massif, écrasant, des élections régionales et départementales dont le second tour s’est tenu dimanche 27 juin : l’abstention bat tous les records des élections de la Vème République. Dans notre région, en Auvergne Rhône-Alpes, elle a atteint 67,41 % des voix au premier tour et 66,63 % au second pour les régionales ; même constat pour les élections départementales qui se tenaient dans le Nouveau Rhône, où elle culmine à 67,65 % au premier tour et 66,93 % au second. Notre région et notre département ne sont pas des exceptions : pour les élections régionales, elle était de 66,7 % des voix au premier tour à l’échelle nationale et est estimée à environ 65,7 % pour le second.

Les vainqueurs de ces élections, comme Laurent Wauquiez en Auvergne Rhône-Alpes, n’ont donc pas eu le soutien de l’immense majorité de nos concitoyennes et concitoyens. Cependant, nombre d’entre eux paradent comme si de rien n’était !

Une culpabilisation des abstentionnistes

Cela ne trompe pourtant personne et maint commentateurs politiques s’empressent de fustiger les abstentionnistes : ainsi de Christophe Barbier sur BFM TV après le premier tour, se plaignant que « les Français sont obnubilés par la présidentielle et les législatives » et proposant une « punition douce et démocratique » (sic) pour les abstentionnistes aux élections locales en leur interdisant de voter aux élections présidentielle et législatives ! Avec des scores en chute libre par rapport aux régionales précédentes, le Rassemblement National a exactement le même réflexe, certaines de ses têtes de listes comme Julien Odoul ou Thierry Mariani reprochant aux électeurs du RN de 2017 de ne pas être allés voter pour eux.

Il y a quelque chose de surréaliste à entendre ces éditorialistes et ces responsables politiques donner des leçons aux abstentionnistes : à les écouter, on croirait que c’est aux électrices et électeurs de s’adapter aux partis politiques et non pas le contraire ! À qui la faute, si les partis politiques en lice n’ont pas donné envie à la majorité d’entre eux de voter ? Christophe Barbier se plaint que les électrices et électeurs soient obnubilés par les élections présidentielle et législatives ; mais à qui la faute, si le système de la Vème République concentre les pouvoirs sur le Président de la République à tel point que nos concitoyennes et concitoyens ont l’impression que seule l’élection présidentielle compte réellement ?

Comprendre le phénomène de l’abstention massive nécessite d’abord d’analyser qui s’abstient.

Qui s’est abstenu et pourquoi ?

La sociologie électorale a depuis longtemps montré que l’abstention est plus forte chez les plus jeunes, les moins riches et les moins diplômés : en d’autres termes, chez celles et ceux qui sont les plus exclus des positions de pouvoir dans notre société, les moins pourvus en capitaux de toute sorte (économique, social, culturel). Elle est aussi plus forte chez les immigrés que chez les natifs, parce qu’ils sont insérés depuis moins longtemps dans les enjeux politiques de la société où ils se trouvent, et plus forte en milieu urbain qu’en milieu rural, où l’interconnaissance rend la pression au vote plus forte. D’une manière générale, les travaux de Daniel Gaxie, par exemple, ont montré que le fait d’être en situation dominée dans une société s’accompagnait d’un sentiment d’être moins légitime à participer aux décisions politique, moins compétent.

Ce profil sociologique de l’abstention se retrouve largement à ces élections régionales : au premier tour, l’abstention était de 87 % chez les 18-24 ans, 83 % chez les 25-34 ans, 71 % chez les 35-49 ans, 68 % chez les 50-59 ans, 56 % chez les 60-69 ans, 40 % chez les plus de 70 ans (enquête IPSOS) ; plus on est jeune, plus on s’abstient. Globalement, ce sont aussi les gens ayant les revenus les plus élevés qui ont le plus voté : l’abstention est de 61 % chez les gens gagnant plus de 2500€ par mois, 67 % chez ceux gagnant entre 1300 et 2500€ par mois, 66 % chez ceux gagnant de 900 à 1300€ par mois, et 78 % chez ceux qui survivent avec moins de 900€ par mois (enquête IFOP). Au niveau des professions et catégories socioprofessionnelles suivant le découpage de l’INSEE, qui certes dissimule de grandes disparités dans ses catégories, on constate sans surprise que ce sont de loin les ouvriers qui s’abstiennent le plus (76%). Les différences en fonction du niveau de diplôme ou de la taille des communes sont en revanche beaucoup moins significatives cette fois. Ce sont donc principalement les gens qui ont le plus à souffrir de la catastrophe écologique et sociale en cours qui s’abstiennent : pourquoi ?

Là aussi, les enquêtes sont instructives en corroborant ce que nous-mêmes avons pu ressentir sur le terrain comme militants ou simplement autour de nous comme appartenant à ces catégories sociales : ce qui domine chez les abstentionnistes selon l’IFOP a été le sentiment que ces élections ne pourraient rien changer à leur situation personnelle (40%), à celle de leur région (35%), la volonté de manifester un mécontentement à l’égard des partis politiques (34%) et le sentiment qu’aucune liste ne défendait ou ne représentait leurs idées (32%). Comment dire plus clairement que dans le désastre social et écologique actuel, les abstentionnistes n’ont pas trouvé de force politique qui leur donne l’impression de pouvoir leur apporter des solutions ?

Expliquer la faible mobilisation de notre camp

Cela est évidemment une mauvaise nouvelle pour nous comme pour le reste des acteurs politiques qui se sont investis à ces élections : nous aurions bien évidemment préféré que la majorité des électrices et des électeurs portent leur suffrage sur les listes auxquelles nous participions dans le cadre de la France Insoumise, le plus souvent en alliance avec d’autres partis, afin de profiter des leviers des régions et départements en matière de politique sociale, économique ou environnementale pour rétablir des services publics de qualité, lutter contre la précarité et la destruction de l’environnement ; mais contrairement à d’autres partis et à beaucoup de commentateurs politiques, nous ne croyons pas que culpabiliser les abstentionnistes soit une solution à quoi que ce soit. Pourquoi les listes que nous avons soutenues n’ont-elles pas mobilisé nos électeurs ? Nous souffrons habituellement plus de l’abstention que d’autres forces politiques du fait que notre électorat est plus jeune et moins aisé, mais pas dans ces proportions exceptionnelles. Notre opinion est que cela est en grande partie dû à l’illisibilité des alliances conclues d’une région à l’autre : entre la Bretagne où la FI partait seule, les régions comme la nôtre où elle était alliée au PCF et à Ensemble, celles où elle était alliée à l’extrême-gauche, celles où elle intégrait des coalitions allant parfois jusqu’au PS et à EELV, c’était à n’y rien comprendre et il n’a pas pu y avoir de campagne nationale !

Ce n’est pourtant pas du fait de la France Insoumise, qui avait mis en garde les autres forces politiques de gauche de la catastrophe à venir si un accord n’était pas conclu à l’échelle nationale : las, celles-ci n’y ont pas donné suite, elles ont même exclu la FI en Provence Alpes Côte d’Azur ! Dans cette situation, la FI avait le choix entre renoncer à des alliés potentiels pour rester lisible ou renoncer à sa lisibilité nationale ; par volonté d’être la moins sectaire possible, c’est le second choix qu’elle a fait, parce qu’il fallait choisir entre deux maux.

Un système politique désavoué

Toujours est-il que ce désaveu cinglant affecte plus que telle ou telle famille politique : c’est tout le système qu’il remet en cause, ce système dans lequel citoyennes et citoyens se sentent si dépossédés du pouvoir qu’ils ont l’impression qu’il est inutile de voter à la plupart des élections, que seules les élections présidentielle et législatives une fois tous les cinq ans peuvent changer les choses -et encore ! Ce système porte un nom : la Vème République. Nous pensons qu’il est urgent de l’abolir pour établir une République plus démocratique, où une oligarchie n’accapare plus le pouvoir l’essentiel du temps. Par quoi le remplacer ? Ce n’est pas à nous de le dire. C’est au peuple lui-même, qui pourra élire pour cela une assemblée constituante qui ne comprenne pas de professionnels de la politique, chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour redéfinir les règles du jeu avant que celle-ci ne soit soumise à l’approbation du peuple dans son ensemble par référendum. La VIème République ne doit pas être l’émanation d’experts et de dirigeants politiques comme l’a été la Vème mais du peuple, compris comme l’ensemble de celles et ceux qui sont exclus du pouvoir.

Nous avons bien sûr quelques pistes pour une Constitution plus démocratique telles que le Référendum d’Initiative Citoyenne, y compris pour pouvoir révoquer des élus si une proportion suffisamment importante de leurs électeurs le demande, un plus grand pouvoir donnée aux assemblées représentatives plutôt qu’à l’exécutif ; et quant au vote obligatoire que beaucoup évoquent, il ne peut pour nous qu’être assorti d’une reconnaissance du vote blanc, car les électrices et électeurs ont le droit de dire qu’aucune candidature ne leur convient. L’essentiel est pour que la souveraineté populaire devienne enfin une réalité.

Il y a urgence à abolir ce système politique où nous sommes dépossédés de l’essentiel du pouvoir ; il y a urgence car il verrouille la domination d’une classe qui nous impose un désastre économique, social, écologique et sanitaire sans précédent. C’est ce que nous porterons aux élections présidentielle et législatives de l’année prochaine, dans le cadre de la France Insoumise et de la candidature à l’élection présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.